Le mythe du "book boyfriend" peut-il influencer nos attentes en amour… et dans le mariage ?

Le 05 juin 2025 On en parle

Et si l’homme idéal ne portait pas de montre connectée, mais une chemise victoriennement déboutonnée, l’œil mélancolique et le verbe affûté ? Tandis que les applications de rencontre transforment l’amour en parcours d’obstacles numériques, une nouvelle figure du fantasme s’impose dans les imaginaires : le Book Boyfriend. Héros de papier aux réparties ciselées et aux failles bien placées, il semble cocher toutes les cases... sauf celle de l’existence.

Il devine vos pensées avant même que vous ne les formuliez, cite Byron entre deux déclarations d’amour enflammées, et fait preuve d’une loyauté à toute épreuve. Loin d’être réel, cet homme est un personnage de roman : le Book Boyfriend, incarnation littéraire de l’amant parfait, s’impose aujourd’hui comme une figure centrale de la culture sentimentale contemporaine. 

Portée par les réseaux sociaux, cette tendance ne se cantonne plus aux pages des romans de romance.  De Noah Calhoun dans N'oublie jamais à Christian Grey dans Cinquante nuances de Grey, ces figures masculines idéalisées peuplent nos écrans et nos imaginaires, cristallisant l’envie d’une passion dévorante… mais parfaitement scénarisée. 

Un fantasme littéraire qui façonne nos attentes amoureuses 

Il est toujours là quand il faut. Il fait preuve d’un romantisme inaltérable et vous regarde comme si vous étiez la dernière lumière sur Terre. Il ne pue jamais la bière, ne ghoste pas, ne traite pas son ex petite amie de “folle”, et connaît votre cycle menstruel mieux que votre propre appli. Cet homme n’existe pas. Il est un Book Boyfriend - cette chimère littéraire devenue la nouvelle norme sentimentale pour toute une génération de lectrices. 

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Figure désormais incontournable des romans de New Romance, le Book Boyfriend coche toutes les cases d’un fantasme calibré : charismatique mais vulnérable, beau à en faire pâlir les dieux, protecteur mais jamais dominateur (enfin, sauf si c’est dans le contrat comme chez Christian Grey), il incarne l’idéal amoureux… tout en restant enfermé entre deux pages. Contrairement aux partenaires en chair et en contradiction, lui ne vous contredit jamais, ne prend pas de place dans la salle de bain, et vous attend patiemment, chapitre après chapitre, sans jamais devenir envahissant. 

Un miroir déformant de l’amour à l’ère numérique 

Derrière cette idylle sans bavure, c’est toute une mythologie de l’homme parfait qui s’est installée dans l’imaginaire collectif, nourrie autant par Jane Austen que par Stephenie Meyer. Mr. Darcy, Edward Cullen, Augustus Waters, Rhysand ou Kaz Brekker : les noms changent, la formule reste. Et les réseaux sociaux s’en sont emparés avec ferveur. Sur TikTok, des comptes entiers dissèquent les meilleures répliques de Book Boyfriends, les classent par maisons astrologiques ou en font des playlists Spotify. Les hashtags comme #BookTok ou #BookBoyfriend cumulent des centaines de millions de vues ! 

Ce culte de l’amoureux de fiction déborde même du cadre littéraire pour contaminer les applis de rencontre : en janvier 2025, la mention "cherche Book Boyfriend vibes" dans les bios Tinder aurait augmenté de 77 %, rapporte Public. Un signal qui en dit long sur une époque où l’on fantasme moins une relation réelle qu’un script amoureux parfaitement dialogué. 

Mais derrière cette fascination se cache une vraie question : et si ces héros idéalisés, à force de perfection scénarisée, sabotaient notre capacité à aimer des êtres humains réels, avec leurs silences, leurs zones d’ombre et leur maladresse endémique ? À vouloir trop rêver l’amour, ne risque-t-on pas de le rendre impossible ? 

Et si l’amour parfait sentait un peu trop l’encre et pas assez la vaisselle sale ?  

S’amouracher d’un personnage de roman n’a, en soi, rien de pathologique. Après tout, qui n’a jamais soupiré pour Mr. Darcy ou rêvé de conversations nocturnes avec un vampire à la voix grave et aux valeurs féministes ? Pourtant, à force de badigeonner l’amour de fiction d’une couche de perfection, certains psychologues s’inquiètent : et si ces icônes de papier minaient notre capacité à tolérer la réalité, plus fripée, plus floue, et souvent moins dialoguée ? 

Car dans la vraie vie, l’être aimé ne lit pas toujours dans nos pensées, oublie parfois les dates d’anniversaires et n’a que rarement un monologue poignant en cas de dispute. Idéaliser un "Book Boyfriend", c’est donc parfois scier la branche du contentement conjugal sur laquelle on tente de s’asseoir. 

Cela dit, tout n’est pas à jeter avec l’eau de rose du bain. Pris comme une source d’inspiration plutôt qu’un cahier des charges amoureux, le "Book Boyfriend" peut aussi nous rappeler l’importance de l’écoute, du respect, et d’un certain art de l’attention. Ces héros fictifs, bien qu’utopiques, ont au moins le mérite de poser une question fondamentale : à quoi ressemble une relation dans laquelle on se sent vraiment vu.e, désiré.e, compris.e ? 

Bref, rêver d’un partenaire qui sent la lavande et les valeurs sûres n’est pas un crime. Mais peut-être faut-il accepter que la beauté d’une relation se niche moins dans les envolées lyriques que dans les imperfections partagées. Le romantisme, oui... mais avec une pincée de maladresse et beaucoup de réel. 

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