Tenues traditionnelles et costumes festifs : où s’arrête la célébration, où commence l’appropriation culturelle ?
Le 23 octobre 2024
Mode
Chaque année, à l'approche d'Halloween, les rayons de nos magasins s'ornent d'une vaste gamme de déguisements. Sorcières, aliens et vampires se mêlent aux tenues traditionnelles et éléments culturels comme ceux des peuples Indiens et africains, ou des geishas. Le port du costume ne se résume pourtant pas à un simple jeu d'identités. Il suscite une véritable réflexion profonde sur notre respect et notre compréhension des cultures qui ne sont pas les nôtres.

“Les vêtements expriment une intention. Les costumes racontent une histoire”, a un jour déclaré l'écrivain et critique littéraire américain Mason Cooley. Le concept de déguisement, familier à tous, nous permet de plonger dans des mondes inconnus et d'explorer des identités variées. Que l'on soit petit ou grand, enfiler un costume offre souvent une échappatoire aux contraintes du quotidien. On peut alors librement se glisser, le temps d'une soirée, dans la peau d'un héros intrépide ou d'une figure historique. Comme le souligne l'anthropologue Victor Turner, ces moments de transgression nous plongent dans des “liminalités”, des instants où toutes les conventions s’effondrent. C'est une véritable invitation à l’aventure, à la créativité et à la découverte de soi, où tout devient possible !
Mais au-delà du simple jeu, le déguisement reflète également les traditions culturelles et agit comme un élément fondamental des rituels festifs qui rassemblent les communautés. Des événements comme les carnavals en France, notamment lors de la Fête de la Chandeleur ou des fêtes de village, illustrent cette dynamique. Durant ces temps forts festifs, le costume devient l’expression vivante d’un héritage collectif.
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De plus en plus fréquemment, à l’occasion d’Halloween, certaines personnes adoptent des déguisements en s’inspirant d'éléments de cultures spécifiques, en intégrant par exemple des maquillages rituels issus des traditions indiennes ou africaines, ou encore en portant des vêtements traditionnels tels que ceux associés au Nouvel An lunaire ou au style des geishas. L'intention sous-jacente ? Représenter une culture à travers des symboles emblématiques.
@abripaczkowski mis indias🫶🏽 #disfraz #indias #halloween #parati ♬ Gatita Gangster - Remix - Dj Yaara
Mais cette pratique n'est pas sans controverse. Comme indiqué dans un article de l'IUT de Toulouse, “aujourd’hui, les costumes qu’on enfile n’ont plus rien de ludique, mais tout de politique”. C'est ainsi que chaque année, nombreux sont celles et ceux qui dénoncent ce qu’elles considèrent comme de l’appropriation culturelle. Depuis quelques années, ce mouvement de contestation prend de l'ampleur, illustré par le hashtag #mycultureisnotacostume, qui émerge sur plusieurs plateformes, notamment Instagram et TikTok. Ce cri de ralliement dénonce les appropriations insensibles de costumes inspirés d'autres cultures, souvent portés sans respect des significations profondes qui les sous-tendent. Alors, sensibilité mal placée ou véritable problème de société ?
Des voix qui s’élèvent
“Ce n'est qu'un déguisement, après tout”. “On ne peut plus passer une soirée à rire et à se divertir ?” “Il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire”… La liste des réflexions qui minimisent les préoccupations exprimées par les minorités pourrait s'allonger indéfiniment. En réalité, personne n'a d'intention malveillante en revêtant son costume d'Halloween. Mais au fond, qu'est-ce qui pose réellement problème ?
Chaque année, les réseaux sociaux s'animent autour de ce sujet. Des influenceurs comme Melemaikalanimakalapua, TheAsianTalk, et NotoriousCree interpellent le public sur les costumes jugés offensants. En 2011, des étudiants de l’Université d’Ohio lançaient déjà la campagne "We’re a culture, not a costume" (“nous sommes une culture, pas un déguisement”, ndlr), visant à alerter sur les déguisements stéréotypés qui caricaturent des cultures entières, comme le rapporte CNN.
@the_landk Appreciate > Appropriate! We call them “Regalia” #foryou #fyp #indigenous #native #culture #nativeamerican #halloween #learn ♬ Crow Hop - Northern Wind
Mais pourquoi les déguisements d'Halloween posent-t-il problème à certaines minorités ? Pour beaucoup, ces costumes ne sont qu'un divertissement. Mais derrière ce prétendu amusement se cache bien souvent une représentation biaisée et dégradante de cultures déjà marginalisées. Melemaikalanimakalapua, influenceuse sensibilisant autour de la culture Hawaïenne et des problématiques rencontrées par les Kānaka maoli (natifs d’Hawaii), met en lumière la sexualisation de la culture hawaïenne à travers des costumes qui véhiculent des stéréotypes inexacts. “Un peuple natif ne devrait jamais être considéré comme un “déguisement” ou un “thème””, déclare-t-elle.
Déguisement et oppression : le cas du blackface
Le blackface illustre particulièrement bien cette problématique. Vous savez, cette pratique qui consiste à se grimer en personne noire. Celle-ci est largement reconnue comme raciste, car elle évoque une représentation stéréotypée et une histoire de domination raciale. La consternation suscitée par des cas de blackface contraste souvent avec la banalisation d'autres déguisements culturels, comme ceux représentant des Indiens ou des Arabes. La logique d'oppression est pourtant la même, mais le décalage dans les réactions montre l'ampleur du problème.
@notoriouscree Spread the word! #native #indigenous ♬ Crow Hop - Northern Wind
Interrogé par CNN, William Jelani Cobb, professeur d’études africaines et auteur du livre The Substance of Hope : Barack Obama and the Paradox of Progress l’explique ainsi : “ce qui se cache derrière ce type de déguisement, c’est la croyance que ces personnes ne sont pas tout à fait nos égales, ou qu’elles ne sont pas autant américaines que nous le sommes, ou encore que vous, en tant que personne n’appartenant pas à ce groupe culturel, vous avez la possibilité de dicter à quel point le stéréotype peut blesser” (traduction des propos de William Jelani Cobb pour CNN, ndlr).
Les déguisements caricaturaux font donc bel et bien partie de ce système d’oppression à un niveau symbolique, selon les minorités concernées. Ils véhiculent des clichés particulièrement erronés qui viennent effacer la véritable identité de ces cultures dans les représentations populaires.
Appropriation culturelle : une question d'éthique
Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’Halloween est une fête mercantile. Les costumes stéréotypés utilisent des éléments culturels, parfois sacrés, à des fins commerciales, ce qui relève clairement de l’appropriation culturelle. Dans un entretien au Monde, le sociologue Eric Fassin explique que le concept d’appropriation culturelle se développe dans le milieu artistique à la fin du XXe siècle grâce à des critiques noires comme Bell Hooks ou Coco Fusco.
Il définit le terme d'appropriation culturelle ainsi : “il
s’agit de récupération quand la circulation s’inscrit dans un contexte de
domination auquel on s’aveugle. L’enjeu n’est certes pas nouveau :
l’appropriation culturelle, au sens le plus littéral, remplit nos musées
occidentaux d’objets “empruntés”, et souvent pillés, en Grèce, en
Afrique et ailleurs. La dimension symbolique est aujourd’hui très importante.”
Se déguiser de manière respectueuse, un défi (pas si) insurmontable
Vous l'aurez certainement remarqué : le véritable enjeu ne réside pas tant dans Halloween lui-même, mais dans les costumes qui perpétuent des stéréotypes offensants liés à des cultures qui ne sont pas les nôtres. Cette problématique peut également se poser lors de nos traditionnels carnavals ou lors de soirées déguisées entre amis. Fort heureusement, il existe plusieurs façons simples d’agir à notre échelle pour que vos prochaines fêtes costumées restent respectueuses et bienveillantes.
Ne pas opter pour un costume dit “réaliste”
Les déguisements qui prétendent représenter d'autres cultures peuvent être
perçus comme offensants par les minorités, qui se voient souvent réduites à
des stéréotypes. Si vous êtes conscient de cette problématique et souhaitez
être respectueux, la première étape consiste à opter pour des costumes fictifs,
qui minimisent les risques de caricature. Personnages de séries ou des
créatures imaginaires... les options sont variées et suffisamment
divertissantes pour garantir des soirées agréables.
S’informer en cas de doute
Si vous avez des doutes sur la façon dont votre déguisement pourrait être perçu, solliciter l'avis d'une personne concernée est toujours une excellente démarche ! Cela est bien sûr plus simple lorsque l'on peut compter sur des amis proches.
Cependant, si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à vous tourner vers les réseaux sociaux. Nous avons précédemment mentionné quelques comptes qui pourraient vous être utiles, comme NotoriousCree et TheLand, qui traitent des enjeux des Premières Nations, Melemaikalanimakalapua pour les questions hawaïennes, ou encore TheAsianTalk. Cela dit, il est également important de rechercher les sources qui résonnent le mieux avec vous !
Eduquer son entourage
La construction d'une pensée respectueuse commence dès le plus jeune âge. Il est, en effet, souvent plus facile d'inculquer de telles valeurs aux enfants que de déconstruire des habitudes ancrées à l'âge adulte.
Les enfants sont capables de comprendre beaucoup de choses ! Même s'ils ne saisissent pas toujours des concepts comme "appropriation culturelle", ils peuvent néanmoins réaliser qu'un déguisement peut être perçu comme blessant. Ainsi, à l'approche d'Halloween ou du carnaval, n'hésitez pas à leur proposer des alternatives créatives et fantastiques, comme des vampires ou des sorciers.
Pousser la réflexion plus loin
Halloween n'est qu'un exemple parmi d'autres d'appropriation culturelle et d'oppression des minorités. Si ce sujet vous intéresse, n'hésitez pas à approfondir vos connaissances. Écoutez attentivement les témoignages des minorités, partagez ces informations avec vos proches et engagez-vous si ces enjeux vous tiennent à cœur.
Portez surtout un regard critique sur ces gestes et actions qui peuvent sembler anodins, comme le choix d'un costume. Réévaluez vos pratiques. Après tout, si nous souhaitons qu'Halloween demeure une célébration joyeuse et inclusive pour tous, opter pour un déguisement différent ne devrait pas être si difficile, n'est-ce pas ?
Alors que les fêtes et les costumes continuent d’évoluer, il est impératif de naviguer avec soin entre célébration et respect. Une approche réfléchie et informée pourra transformer nos événements festifs en véritables ponts entre les cultures, plutôt qu'en sources de division et de conflit. Après tout, les festivités ne doivent pas seulement rassembler, mais aussi enrichir notre compréhension mutuelle.
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