Rôle d’épouse et nostalgie rétro : comment le mouvement des "tradwives" redessine le mariage d’aujourd’hui

Le 18 octobre 2024 On en parle

Alors que la parité et l'égalité des sexes demeurent des préoccupations essentielles dans notre société, un phénomène inattendu s’impose sur le devant de la scène : celui des "tradwives". Derrière celui-ci : des femmes qui revendiquent un retour aux rôles domestiques traditionnels. Popularisé par les réseaux sociaux, ce mouvement, sous des airs de réhabilitation des valeurs familiales, questionne profondément notre conception du mariage et ses modalités d’organisation.

Dans une maison aux volets bleus, quelque part en banlieue, une femme s’affaire en cuisine. Vêtue d'une robe rétro à motifs fleuris, elle soigne chaque détail de son apparence, ses cheveux relevés en un chignon impeccable. Le dîner qu'elle prépare n'est pas seulement un repas : c’est, pour elle, un acte de dévouement, une preuve de son engagement envers sa famille. Cette scène, qui pourrait sembler figée dans une série des années 1950, appartient pourtant à notre époque. Elle incarne un phénomène en plein essor : le mouvement des "tradwives". 

Alors que la société moderne s'efforce de promouvoir l'égalité des sexes, un nombre croissant de femmes choisissent volontairement de revenir à des rôles domestiques traditionnels. Ces "tradwives" prônent ainsi une vie centrée sur le foyer, où la soumission au mari est perçue comme une vertu. Mis en lumière depuis quelques mois, ce mouvement interroge : que signifie vraiment cette résurgence des valeurs d’antan ? 

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Un retour aux années 50 : la naissance d’une idéologie 

Le mouvement des "tradwives" trouve ses racines dans une idéalisation des années 50, une époque où les rôles de genre étaient strictement définis et largement acceptés. Durant cette période, l'image de la femme au foyer, dévouée à son mari et à ses enfants, était omniprésente, glorifiée par la publicité et les normes sociales. Ce modèle, que beaucoup pensaient définitivement révolu avec l'essor du féminisme, fait pourtant un retour inattendu. 

Popularisé aux États-Unis au début des années 2010, ce mouvement a trouvé un terreau fertile parmi les partisans de valeurs conservatrices. Des slogans politiques, comme le fameux "Make America Great Again" de Donald Trump, ont renforcé cette nostalgie d'une époque perçue comme plus stable, où les rôles étaient clairs et les valeurs familiales intactes. Il est aujourd'hui très courant d’entendre l'ironique "Make Traditional Wife Great Again", un appel qui résonne particulièrement dans les cercles conservateurs et souligne ce même désir de restaurer un certain ordre social. 

Les réseaux sociaux, amplificateurs du mouvement 

Le mouvement a connu une expansion rapide grâce à des plateformes comme Instagram et TikTok, où les "tradwives" partagent leur quotidien : cuisine, décoration intérieure, et conseils conjugaux. Les hashtags #TradWife et #FeminineNotFeminist se multiplient et véhiculent une vision idéalisée de la domesticité.  

Derrière ces publications, un message implicite : le rejet de la modernité et de la course effrénée à la réussite professionnelle, perçues comme sources de mal-être. Sur les réseaux sociaux, ces femmes revendiquent haut et fort leur attachement aux valeurs des années 50 : féminité exacerbée, soumission à leur époux et importance centrale du foyer. La figure de la "bonne épouse", décrite dans des milliers de clichés et vidéos, est au cœur de cette philosophie. 

Parmi les figures emblématiques du mouvement, Alena Kate Pettitt, fondatrice du blog The Darling Academy, se fait l’avocate d’un retour à la "féminité traditionnelle". Sur son site, elle encourage les femmes à embrasser la domesticité comme un chemin vers l’épanouissement personnel.  

Ses publications, largement relayées sur les réseaux sociaux, vantent les mérites d'une vie où la gestion du foyer et la satisfaction des besoins du mari sont centrales. Quant à la blogueuse Estee Williams, autre figure de proue de ce mouvement, elle résume ainsi son quotidien : "je m’habille bien et je me maquille, même si je reste à la maison. Je porte les habits qu’il aime, je lui cuisine ce qu’il adore, je mets ses besoins avant les miens", explique-t-elle dans le cadre d’une interview accordée au média Getwokeup. 

Loin d’être une simple mode “rétro”, le phénomène s’inscrit dans un contexte plus large de conservatisme culturel et politique. Pour ses adeptes, incarner la parfaite épouse au foyer est non seulement une réponse à l’individualisme de la société contemporaine, mais aussi une forme de résistance face aux bouleversements sociaux actuels. 

Quel impact sur les mariages contemporains ? 

Cette réapparition de valeurs conservatrices influence sans conteste l’univers nuptial. De plus en plus de couples choisissent d’incorporer des éléments esthétiques et symboliques rappelant les mariages d'autrefois.  

Robes de mariée vintage, cérémonies intimes en extérieur, ou encore décorations inspirées des années 50 ou 60 sont autant de tendances qui séduisent nombre de futurs époux. Pour ces couples, leur mariage devient non seulement un engagement amoureux, mais aussi et surtout une déclaration de leur vision du monde, souvent en réaction à la modernité. Le DIY (Do It Yourself, ndlr), très prisé par les adeptes de ce mouvement, revient également en force, l’idée étant que chaque détail du mariage soit pensé comme un hommage aux valeurs domestiques, du faire-part à la décoration florale. 

Mais, le mouvement des “tradwives” ne fait pas que réactualiser certaines esthétiques d’antan, il influence également le rôle des femmes dans les préparatifs du mariage. L'accent est mis sur le fait que l’épouse doit incarner une certaine idée de la féminité traditionnelle, en prenant soin de son apparence autant que de l’organisation de la cérémonie, qui repose souvent entièrement sur ses épaules (un constat qui soulève des interrogations, d'autant plus à une époque où la charge mentale pesant sur les femmes, notamment dans l'organisation des noces, est de plus en plus dénoncée, ndlr).  

La nostalgie d'un "bon vieux temps" idéalisé 

Le mouvement “tradwife” s’appuie sur une nostalgie du passé. Ses adeptes affirment que les mariages d’antan étaient plus solides, que les familles étaient plus heureuses et que les divorces étaient rares. Cette vision idéalisée, nourrie par des souvenirs collectifs embellis, oublie souvent de mentionner que ces époques étaient aussi marquées par une absence totale d’indépendance pour les femmes.  

Certes, les divorces étaient moins fréquents (et loin d’être célébrés comme aujourd’hui), mais cela s'expliquait en grande partie par le poids du stigmate social et la dépendance économique des femmes envers leurs maris.  En réalité, ce “bon vieux temps” est bien moins idyllique qu'il n'y paraît... Il convient aussi de rappeler que, même aujourd'hui, le divorce reste une épreuve coûteuse pour les femmes, tandis que les inégalités patronales persistent et semblent aggravées par le mariage. 

Un choix (vraiment) libre ? 

Le succès grandissant des “tradwives” pose alors une question fondamentale : où s’arrête le choix personnel et où commence l’auto-soumission aux diktats d’un passé révolu ? Ces femmes revendiquent le droit de choisir leur place dans la société, mais leur conception du mariage et du rôle de la femme repose sur des attentes rigides et souvent oppressantes.  

Pour certaines, cette soumission au mari s’appuie sur des principes religieux, comme en témoignent les nombreuses références à la Bible dans les discours des figures influentes de ce mouvement. Mais alors, peut-on vraiment parler de liberté de choix lorsque celui-ci implique de renoncer à toute autre option ? 

Mariages d'antan et avenir incertain 

Vous l’aurez compris : le mouvement des “tradwives” fait plus qu’incarner une nostalgie du passé : il remet en question des acquis sociaux que l’on croyait inébranlables. Sa montée en puissance montre à quel point la société moderne, malgré ses avancées, reste tiraillée entre tradition et progrès.  

Certains mariages, influencés par ce mouvement, deviennent souvent des tableaux nostalgiques, avec une idéalisation des valeurs d'antan qui tend à dissimuler la réalité nuancée des relations d’aujourd’hui. Cette nostalgie ne serait-elle pas finalement une manière de se rassurer face aux incertitudes de notre époque ? La réponse reste ouverte.  

Quoi qu’il en soit, si certaines femmes choisissent ce mode de vie en toute connaissance de cause (après tout, tant qu’elles sont heureuses et consentantes, nul ne devrait porter de jugement de valeur), il reste toutefois important de ne pas perdre de vue qu’un mariage heureux ne repose pas sur la soumission (entendue ici comme la domination de l’un sur l’autre, ndlr), mais sur l’équilibre et le respect mutuel. 

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